L’Aire, 2000. Prix Paul-Budry 2000
» Le résumé (…) de l’intrigue échoue à rendre compte du roman de la lauréate, comme échouerait à rendre compte d’A la recherche du temps perdu l’inventaire des situations et de l’action des personnages. L’essentiel est ailleurs. Il est peut-être dans le questionnement pathétique qui traverse tout le roman. Questionnement de style plus romanesque, c’est-à-dire composé d’images, qu’intellectuel. Ce questionnement, qui est en somme la matière du livre, concerne d’une part l’être – si l’on peut dire – de la mort, d’autre part celui du langage, ses pouvoirs et ses défaites. Avec quel talent Silvia Ricci Lempen multiplie les points de vue sur la mort et sur l’acte de s’exprimer!
Le jury du Prix Paul-Budry a d’emblée considéré Avant, troisième œuvre romanesque de l’auteur, comme un roman d’un exceptionnelle richesse, d’une maturité et d’une qualité littéraire rarement associées aussi souverainement dans la production contemporaine, à l’étranger comme dans notre pays ».
Roger-Louis Junod, président du jury du Prix Paul-Budry, extrait du discours prononcé lors de la remise du Prix 2000.
« Que choisir? semble demander le roman, la paix des tombes ou la torture du temps? Question sans réponse. Et puis, avons-nous seulement le choix? Et si nous l’avons eu un jour, c’était «avant»; ce moment est irrémédiablement passé: il n’y a pas d’avenir.
Dans ce roman serré comme un poing, sans concession ni complaisance, au style volontairement neutre et précis, en particulier sur les détails de la maladie et des corps torturés, quelques fenêtres s’ouvrent cependant sur la douceur d’un moment ou la beauté d’une journée (…) »
Catherine Dubuis, Femmes en Suisse, janvier 2001
Extrait
– Il faut ouvrir un peu, on ne voit rien.
Il s’exécute et le fétiche, posé sur le chariot, se trouve soudain inondé de soleil.
De la statue initiale, de sa couleur de sable, des bras-ailes repliés et de la face oblongue, on ne voit plus rien, sous la toison des oripeaux serrés et enchevêtrés qui la recouvrent – non plus, désormais, comme jusqu’ici, dans ses états intermédiaires, à la manière d’un déguisement carnavalesque, que l’on revêt ou ôte à volonté; mais bien plutôt comme la vigne vierge qui, s’accrochant au mur, le pénétrant de ses fines radicelles, à la fois le décore et le métamorphose, le transformant en une paroi vivante; car nue elle avait, cette statue initiale, la verticalité étirée et fragile de la faiblesse de la détresse humaine, et elle est maintenant trapue, éclatante de force, rutilante des pouvoirs des dieux cachés. Seules les orbites évidées, sans pupilles, luisent au milieu de cette germination.
Il semble à David que ces cavités lisses, naguère noyées d’une tristesse invincible, sont maintenant animées d’une allégrasse sauvage qui le laisse interdit, oppressé et muet.
(p.155)