Femmes Suisses, juin-juillet 1989
Le moins que l’on puisse dire est que la récente obtention des droits civiques par les Appenzelloises des Rhodes-Extérieures n’a pas suscité d’enthousiasme chez les citoyennes de ce pays. Les plus engagées dans la défense de la cause des femmes ont certes fait état de leur soulagement : effacée, enfin, ou presque (on attend encore les Rhodes-Intérieures), cette injustice obtuse, absurde, insupportable ; effacé, cet anachronisme honteux qui nous faisait rougir à la face du monde. Mais une trop longue attente consume d’avance la joie de la victoire, surtout lorsqu’il s’agit de l’obtention d’un droit élémentaire, déjà reconnu à pratiquement toutes les habitantes de la planète, accordé de surcroît du bout des lèvres et en grande partie par opportunisme politique. Et les commentaires condescendants de la presse étrangère n’incitaient pas à pavoiser.
La démocratie suisse, bonne dernière, se préoccupe enfin de ne plus exclure ses hilotes : pour le 700e anniversaire de la Confédération, nous aurons nous aussi, merveille des merveilles, le suffrage universel. A l’heure où les féministes occidentales parlent quotas et actions positives, se préoccupent de donner un contenu concret à une égalité formelle considérée comme acquise, le droit de vote des Appenzelloises n’est pas une de ces conquêtes que l’on claironne…
Et pourtant , on aurait tort de ne pas reconnaître une continuité fondamentale entre le combat tardif de nos Confédérées et ceux, plus «avancés», qui se mènent ailleurs. Quinze jours avant la Landsgemeinde de Hundwil, quelques centaines d’intellectuelles françaises, réunies en colloque à Toulouse, rappelaient entre autres à l’opinion que, même si les Françaises votent depuis plus de quarante ans, la «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne» rédigée par Olympe de Gouges garde toute son actualité. Olympe de Gouges ne s’est pas limitée à réclamer les droits civiques pour les femmes ; elle demandait que l’idéal révolutionnaire de l’égalité soit reconnu comme pleinement et entièrement pertinent pour l’ensemble du peuple, et non seulement pour sa moitié privilégiée. Partout, nous en sommes encore loin.
Genève, ville internationale et progressiste, passe pour la plus ouverte de Suisse en matière d’égalité. C’est pourtant à Genève, lors d’un forum sur les relations Nord-Sud organisé par le Club international de Coopération, que j’ai fait récemment une de mes plus mémorables expériences de sexisme. Conviée à participer, l’après-midi, à une table ronde sur le thème «Femmes et développement», je me suis fait vertement rabrouer, avec deux autres intervenantes, pour avoir osé pénétrer, le matin, dans la salle de l’assemblée plénière trois minutes après le début de la séance. «Voilà bien les femmes, s’est exclamé le président (un certain professeur Benyoussef , pour ne pas le nommer), on leur organise une table ronde et elles trouvent le moyen d’arriver en retard !»
Il n’y a pas qu’en Appenzell que les revendications d’Olympe de Gouges mériteraient encore d’être écoutées.